1.
Introduction
La principale raison motivant les gouvernements québécois
à prendre des mesures pour la protection de la langue française
au Québec est le constat que la langue française,
langue minoritaire en Amérique du Nord et au Canada, est
trop fragile pour se développer sans le soutient de l’Etat.
L’élément central de la politique linguistique
du Québec est la Charte de la langue française, adoptée
en 1977. Cette loi, que complètent ses règlements
d’application et la Politique gouvernementale relative à
l’emploi et à la qualité de la langue française
dans l’Administration fait du français la langue officiel
de l’Etat québécois. Elle vise à assurer
que le français devienne la langue commune dans divers domaines
de la vie publique en faisant en sorte qu’il soit notamment
la langue normale et habituelle de l’administration, des communications,
des ordres professionnels, du travail, de l’enseignement,
du commerce et des affaires au Québec.
Le postulat fondamental qui anime la politique linguistique québécoise
est que si le français doit survivre et s’épanouir
sur le continent nord-américain cela ne peut se faire qu’en
lui donnant le maximum de chance et de protection au Québec,
seul territoire où il est la langue de la majorité
de la population. Cela à fin qu’il y devienne un instrument
de communication publique utile pour tous et qu’il soit ainsi
la langue commune servant naturellement de moyen de communication
publique entre les Québécois et les Québécoises
de toute langue et de toute origine. Il est à rappeler aussi
qu’une politique linguistique doit avoir pour but de protéger
non seulement les langues minoritaires, mais aussi parfois la langue
majoritaire, lorsque celle-ci pour diverses raisons s’avère
être vulnérable.
Depuis son adoption la Charte de la langue française a produit
des effets bénéfiques. Elle a redonné, particulièrement
à Montréal, un visage français dans l’affichage
public et la publicité commerciale. Elle a permis aux consommateurs
francophones d’obtenir des services dans leur langue. Elle
a favorisé l’accroissement de l’usage du français
chez les travailleurs et dans la vie des entreprises. Elle a induit
la fréquentation de l’école française
par les jeunes immigrants et favorisé leur intégration
à la communauté francophone. Elle a permis un certain
rattrapage dans le statut du français au Québec et
assuré une forme de sécurité culturelle aux
Québécois et Québécoises francophones.
Pour bien saisir le dessein que poursuit encore la Charte de la
langue française il est utile de retracer rapidement le contexte
socio-historique qui a présidé à son adoption
et de donner quelques informations sur le contexte démographique
actuel du Québec. J’exposerai par la suite les principales
dispositions de la Charte.
2.
Le contexte socio-historique
Sans prétendre de faire ici l’historique complet des
événements de la vie des francophones en Amérique,
il faut rappeler qu’en 1763 la Nouvelle France devient officiellement
une colonie britannique à la suite de la défaite de
la France face à l’armée britannique survenue
quelques années plus tôt. La Proclamation royale de
1763 est venue alors délimiter le territoire du nouveau gouvernement
du Québec et y a introduit le droit privé anglais.
Les nouveaux maîtres de la colonie ont cherché alors,
malgré beaucoup de résistance, à angliciser
la population française. Face à l’opposition
de la population francophone, l’Acte de Québec vient
rétablir, en 1774, le droit privé français
dans la colonie conquise et garantir le libre exercice de la religion
catholique.
Dans la première moitié du XX-e siècle, le
Québec a pris peu de mesures pour protéger la langue
française. Cette attitude de non-intervention, dictée
par la philosophie libérale de l’époque, s’explique
aussi par le fait que la population francophone du Québec
était encore majoritairement rurale et qu’elle était
animée davantage par un réflexe de repli et de résistance
que par celui d’une prise en main, face aux anglophones qui
y contrôlaient l’économie.
Outre ces éléments d’un passé plus lointain,
il convient également de rappeler certains événements
qui, depuis une trentaine d’années, ont été
déterminants du point de vue linguistique dans l’histoire
du Québec et qui se sont produits en même temps que
se produisait, au début des années soixante, une modernisation
du Québec qui a été qualifiée de «
révolution tranquille ».
En 1967, la ville de Saint-Léonard, dans la région
de Montréal, est devenue le théâtre d’un
conflit linguistique qui a, par la suite, marqué à
jamais le Québec et sa politique linguistique. Au coeur de
ce conflit il y avait le choix massif fait par les allophones d’envoyer
leurs enfants à l’école anglaise au Québec.
Du point de vue des francophones cela posait, à plus ou moins
long terme, la question de l’avenir du français dans
la région de Montréal et plus généralement
au Québec.
A cette époque, 90% des écoliers allophones de Saint-Léonard
fréquentaient des écoles primaires bilingues ou, dans
les faits, l’enseignement se donnait souvent principalement
en anglais. A la fin de leurs études primaires 85% de ces
enfants se dirigeaient vers les écoles secondaires anglophones.
La décision des autorités scolaires de Saint-Léonard
de fermer les écoles bilingues et de diriger les enfants
allophones en âge d’être scolarisés vers
les écoles francophones souleva la colère des parents
allophones qui s’y opposèrent farouchement. Pour leur
part les francophones, dont le taux de natalité commençait
à diminuer, prenaient conscience pour la première
fois que si la situation perdurait, c’était, à
plus ou moins terme, la survie du français qui en dépendait.
Rapidement cette question devint un enjeu politique d’importance
qui secoua par la suite toute la société québécoise.
Par ailleurs, en 1968, les travaux de la Commission royale sur le
bilinguisme et le biculturalisme révélaient qu’au
Québec, au début des années soixante, parmi
les quatorze groupes ethniques identifiés, les francophones
venaient en douzième rang pour le revenu moyen des salariés,
soit 8% sous la moyenne, tandis que ceux d’origine britannique
venaient au premier rang, dépassant la moyenne de 42%.
Afin de chercher à calmer la crise qui se soulevait dans
le domaine scolaire, la Loi pour promouvoir la langue française,
désignée comme la loi 63, était adoptée
en 1989. Il s’agissait de la première loi québécoise
d’importance dans le domaine linguistique. Cette loi, dont
le titre est un peu trompeur, avait en fait le but de consacrer
législativement la liberté de choix qui avait prévalu
jusqu’alors dans l’accès à l’enseignement
en anglais au Québec. La seule balise que posait cette loi
tenait au fait que les parents désirant que leurs enfants
fréquente l’école anglaise devaient en faire
la demande lors de l’inscription de ceux-ci à l’école.
Cette loi souleva rapidement l’ire des parents francophones
et des milieux nationalistes au Québec.
En 1972, la Commission d’enquête sur la situation de
la langue française et sur les droits linguistiques au Québec
(appelée la Commission Gendron, du nom de son président)
rendait public son rapport. Les travaux de cette commission faisaient
notamment ressortir : l’infériorité historique
des francophones au Québec sur le plan économique,
la façon négative dont l’élite économique
anglophone du Québec percevait les revendications francophones
touchant l’égalité des chances ; la tendance
marquée des immigrants à choisir pour eux-mêmes
ou pour leurs enfants, l’anglais comme langue d’usage
au Québec et l’obligation imposée aux Québécois
francophones de posséder une connaissance plus ou moins poussée
de l’anglais pour travailler dans des entreprises industrielles,
et ce, que ce soit pour les communications internes ou externes
de ces entreprises ou encore pour pouvoir comprendre les instructions
ou les directives techniques.
3.
Le contexte démographique
Depuis 1951, la fraction représentée par le Québec
dans la population canadienne n’a cessé de diminuer,
passant de 28,95% en 1951 à 22,2% de la population du Canada
en 1998. De même, depuis 1951, le nombre de francophones (langue
maternelle) au seine de la population canadienne a diminué
de façon constante, si bien que les francophones, qui représentaient
29% de la population canadienne en 1951, ne comptait plus, suivant
le recensement de 2001, que pour 22,9% de la population du Canada.
Cette baisse ininterrompue est attribuable à divers facteurs
dont le nombre important d’immigrants de langue maternelle
autre que le français au Canada ainsi que la baisse de fécondité
au sein de la population francophone depuis le milieu des années
soixante.
La proportion des personnes parlant français à la
maison au Canada a également diminué, passant de 25,7%
en 1971 à 22% en 2001, suivant les données du dernier
recensement. De plus, de 1996 à 2001, la proportion des francophones
qui ont utilisé le plus souvent une autre langue que le français
à la maison, d’ordinaire l’anglais, s’est
accrue dans chaque province et territoire, à l’exception
des Territoires du Nord-Ouest. D’ailleurs la force d’attraction
de l’anglais au Canada fait en sorte que dans toutes les provinces
et ce, même au Québec, la proportion de la population
parlant le plus souvent l’anglais à la maison est toujours
sensiblement plus élevé que celle dont la langue maternelle
est l’anglais.
Sans le Québec, les francophones, qui représentaient
6,6% de la population canadienne en 1961, ne représentent
plus, en 2001, que 4,4% de la population canadienne, soit environ
980 270 personnes.
En 2001, 85,5% des francophones (langue maternelle) du Canada, vivaient
au Québec. Ils représentaient 81,4% de la population
du Québec comparativement à 81,5% en 1996, soit environ
5 541 430 personnes. Pour leur part, les allophones formaient 10,3%
de la population québécoise, soit environ 732 160
personnes. Ils surpassent maintenant le nombre d’anglophones,
qui comptent pour 8,3% de la population québécoise,
soit environ 591 365 personnes.
La décroissance de la population du Québec et celle
de la population francophone apparaissent comme des phénomènes
inéluctables. Dans une étude portant sur le recensement
de 1996, des chercheurs de Statistique Canada écrivaient
: « Il est difficile d’imaginer un scénario raisonnable
qui pourrait renverser la tendance à la baisse du poids des
francophones dans l’ensemble du pays. » [Marmen, Corbeil,
1999, p. 87] A la lumière des données du recensement
de 2001, ce constat se confirme et on comprendra que la Charte de
la langue française garde toute sa pertinence.
4.
La Charte de la langue française
4.1. La langue du commerce et des affaires
Souvent, et ce particulièrement à Montréal
au début des années 60, les francophones avaient,
dans les boutiques, les magasins, les restaurants, les hôtels
et les transports publiques, de la difficulté à se
faire servir en français ou encore à obtenir des produits
accompagnés de modes d’emploi ou d’information
en français. C’est donc en réponse à
cette légitime revendication et dans le but de protéger
les consommateurs et de bien marquer le visage français du
Québec, que la Charte énonce diverses exigences linguistiques
relativement à la langue du commerce et des affaires. Cela
est d’autant plus important que les activités de consommation
atteignent quotidiennement chaque personne et en viennent ainsi
presque imperceptiblement à conditionner le vocabulaire de
chacun.
La Charte de la langue française prévoit l’utilisation
du français dans les inscriptions sur un produit, son contenant
ou son emballage et sur les documents ou objets qui l’accompagnent.
Toutefois, une autre langue que le français peut également
être utilisée pourvu que le texte français occupe
une place équivalente.
Il existe différentes exceptions prévues par voie
réglementaire, qui permettent notamment que des inscriptions
sur des produits culturels ou éducatifs soient rédigés
uniquement dans une autre langue que le français.
Les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires
commerciaux ou les publications de même nature doivent aussi
être rédigés en français. On peut toujours
utiliser une autre langue avec le français pourvu que celui-ci
figure de façon au moins aussi évidente que toute
autre langue.
La Charte de la langue française exige aussi que les contrats
d’adhésion ou les contrats comportant des clauses types
imprimées soient rédigés en français,
à moins que les parties ne conviennent expressément
de les rédiger dans une autre langue. Les formulaires de
demande d’emploi, les bons de commande, les factures et les
reçus ainsi que les quittances doivent être rédigés
en français. Il importe de souligner que, tant pour les contrats
que pour les formulaires, l’emploi d’une autre langue
en plus du français n’est pas interdite pourvu que
le français figure de façon au moins aussi évidente.
En 1997, une disposition spécifique a été ajoutée
afin de couvrir les logiciels et les ludiciels. Ainsi, tout logiciel,
tout ludiciel ou tout système d’exploitation informatique,
qu’il soit installé ou non sur ordinateur, doit être
disponible en français à moins qu’il n’en
existe aucune version.
4.2.
L’affichage public et la publicité commerciale
En 1988, la Cour suprême de Canada a déclaré
que les dispositions de la Charte prévoyant l’unilinguisme
français dans l’affichage public et la publicité
commerciale étaient contraires à la liberté
d’expression et au droit à l’égalité,
et que la règle d’exclusivité d’emploi
de la langue française que posaient ces dispositions n’étaient
pas justifiés dans le cadre d’une société
libre et démocratique.
Tout en prenant cette position, la Cour suprême a pourtant
reconnu la vulnérabilité de la langue française
au Québec et a déclaré que la menace qui pesait
sur la langue française pouvait être imputée
à la baisse du taux de natalité chez les francophones
au Québec, au taux supérieur d’assimilation
des immigrants au Québec par la communauté anglophone
ainsi qu’au fait que l’anglais a toujours dominé
aux plus échelons du secteur économique.
Un tel constat n’a cependant pas empêché la Cour
suprême de juger que l’usage exclusif du français
dans l’affichage public et la publicité commerciale
n’était pas nécessaire pour assurer le «
visage français du Québec ». La Cour suprême
a plutôt indiqué que la « nette prédominance
du français » était la méthode qui, selon
elle, permettait au législateur québécois d’atteindre
son objectif tout en se conformant aux exigences des chartes canadiennes
et québécoises des droits et libertés.
4.3.
La langue de la législation et de la justice
Les règles initiales de la Charte de la langue française
visant à faire du français la véritable langue
de la législation et de la justice au Québec et donnant
au seul texte français valeur officielle furent rapidement
contestées devant les tribunaux et, moins de deux ans après
leur adoption, elles furent déclarées inopérantes
par la Cour suprême du Canada. Ayant à interpréter
l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit
que les lois du Québec doivent être publiées
en anglais et en français, la Cour suprême a conclu
que cette disposition exigeait qu’un statut officiel soit
reconnu aux deux versions des lois et que l’obligation du
bilinguisme qui en découlait visait toutes les étapes
du processus législatif (présentation, adoption, sanction
et publication).
Cette obligation de bilinguisme couvre non seulement les actes réglementaires
eux-mêmes, mais également certains actes (notamment
des décrets) possédant des caractères similaires.
De plus, certains actes, même s’ils ne sont pas à
proprement parler de nature législative, pourront quand même
être soumis à l’obligation de bilinguisme lorsqu’ils
s’inscrivent dans une série d’actes dont l’effet
est de nature législative.
Il est à noter toutefois que toute personne accusée
dans le cadre d’un procès criminel a le droit d’opter
pour un procès en français ou en anglais selon la
langue qu’elle estime être la sienne et que les tribunaux
saisis d’affaires criminelles sont tenus d’être
institutionnellement bilingues. Il faut notamment que le juge, le
jury et le poursuivant soient en mesure de parler soit le français,
soit l’anglais, suivant la langue choisie par l’accusé,
et des considérations financières ou administratives
ne peuvent être invoquées pour s’opposer à
l’exercice de ce droit.
Cette mesure législative (désignée comme la
Loi 178) se voulait, de l’aveu même du premier ministre
d’alors, M. Robert Bourassa, un compromis « équilibré
» entre le bilinguisme total et l’unilinguisme dans
l’affichage. Pour ce faire, elle établissait donc la
règle de l’unilinguisme français dans l’affichage
public et la publicité commerciale faits à l’extérieur
ou destinés au public qui s’y trouve, tandis qu’à
l’intérieur d’un établissement l’affichage
public et la publicité commerciale pouvaient être faits
à la fois en français et dans une autre langue, pourvu
qu’ils soient destinés uniquement au public qui s’y
trouve et que le français y figure de façon nettement
prédominante.
Cette forme de bilinguisme paritaire sans prédominance du
français est permise dans l’affichage du mode d’utilisation
d’un appareil installé en permanence dans un lieu public,
dans l’affichage public relatif à la santé ou
la sécurité publique, dans celui d’un musée,
d’un jardin botanique ou zoologique, ainsi que dans l’affichage
public ou la publicité commerciale se rapportant à
un événement destiné à un public international
ou dont les participants viennent en majorité de l’extérieur
du Québec.
Enfin, la Charte de la langue française prévoit qu’au
Québec le nom d’une entreprise doit être en langue
française. De plus, un nom en langue française est
nécessaire à l’obtention de la personnalité
juridique. En règle générale, le nom d’une
entreprise peut être assorti d’une version dans une
autre langue que le français, pourvu que, dans son utilisation,
le nom de langue française figure de façon au moins
aussi évidente. Des règles plus spécifiques
régissent toutefois l’utilisation du nom d’une
entreprise dans l’affichage public et la publicité
commerciale et prévoient, sous réserve de diverses
exceptions, la nette prédominance du français.
5.
En guise de conclusion…
En quelque vingt-cinq ans la Charte de la langue française,
ainsi que toutes les lois connexes qui en appuient les buts, est
devenue une loi nécessaire et utile, source de paix sociale.
Elle s’est acquis la valeur d’un symbole, qui affirme
le statut nouveau de la langue et de la culture françaises
au Québec et leur pérennité au Canada comme
en Amérique du Nord.
BIBLIOGRAPHIE
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des communautés minoritaires de langue officielle. Profil
démolinguistique Québec, Ottawa, Secrétariat
d’Etat du Canada.
CANADA (GOUVERNEMENT), COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES, Rapport
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CHEVRIER, Marc, 1997, « Des lois et des langues au Québec.
Principes et moyens de la politique linguistique québécoise,
» in Espoir, Revue de la Fondation et de l’Institut
Charles de Gaulle, Paris.
MARMEN, L., CORBEIL, J.-P., 1999, Les langues aux Canada, recensement
de 1996, Patrimoine Canada et Statistique Canada.
Annuaire du Canada 2003, Statistique Canada.
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